vendredi 14 mai 2010

En pensant à B...


Non, non, non, passé un cap, il n'est plus possible de se retenir.
C'était dans le train, ça aurait pu être n'importe où, mais il se trouve que c'était dans le train, alors laissez-moi vous situer le cadre, bordel, au lieu d'expirer comme des baudruches gonflées par l'attente, l'attente, la vaine et puérile attente qui nous rongera les entrailles jusqu'à la dernière défécation.
J'étais assis dans le train, doucement bercé par les secousses, les cuisses caressées par le soleil couchant.
À gauche de moi, sur une autre banquette, était un être humain femelle sans forme d'une quarantaine d'années. Les cheveux filasses, secs et cassants, même pas châtains. Le teint blafard, le regard torve derrière des lunettes rondes et fines de vieille catéchiste à la retraite. Une sorte de jogging délavé.
Cette laideur pas même vulgaire ne se satisfaisait pas d'elle -même, il fallut qu'elle bouffât un sandwich, un sandwich à son image, jambon rance et pain blanc sec.
Là, on est sur le fil du rasoir, là, sur la ligne du chemin de fer.
Et elle sortit d'un sac en papier gigantesque une minuscule crêpe. Ne pouvait-elle pas en acheter plusieurs, des crêpes ? Cinq, dix, cinquante, qu'elle se goinfre, qu'elle n'en puisse plus, qu'elle soit sur le point d'imploser, qu'il se passe quelque chose dans ce corps en voie de putréfaction avant que d'avoir pu vivre, ou bien qu'elle fasse abstinence, qu'elle soit ascète, tiens, au lieu de bouffer cette merde si ce n'est même pas pour s'en remplir jusqu'à outrance !
Je me levai.
Elle ne me vit pas venir.
Je la pris par son horrible tignasse pré-cadavérique, et lui éclatai la gueule contre la vitre.
Bouffe-toi la ! Bouffe-toi la, salope ! que je hurlai ! Bouffe-toi là !
Je ne sentais même pas ses ongles dans la chair de mes avant-bras, juste mon sang doux et chaud lécher ma peau. Seuls me dérangeaient ses cris. La mort ne pourrait-elle pas être un peu pudique, parfois ? Heureusement, je vis en peu de temps la vitre commencer à se fendre, et son visage craqueler sous les larmes et le sang.
Crève, salope ! Crève !
Lorsque je ne sentis plus de résistance, je lâchai ma proie, ma douce charogne, mon ange.
Je lui caressai les cheveux pour lui découvrir son oeil tuméfié, sa joue ravagée, sa mâchoire éclatée. Je ne pus alors m'empêcher de lui faire la bise.
Je t'ai délivrée, la Chose ! Je t'ai délivrée ! Sens comme ta vie s'est intensifiée en peu de temps, sens comme la mort t'est douce à présent, vois comme ton visage est singulier, ta putréfaction concrétisée, ton âme délestée !
Soulagé par ce tableau, je me retournai vers le soleil. La nuit ne viendra jamais sur moi, jamais.

17 commentaires:

a dit…

Bravo ! Vous savez délivrer les voyageuses vous au moins...

Beuche a dit…

C'est pas moi M'dame ! C'est Ciolineski, mon p'tit frère, qui m'a raconté son forfait. Je sais pas trop quoi lui dire, il vient de prendre un stilnox...

Appas a dit…

La fin où le protagoniste éclate la dame est de trop (pour moi). Stoppons, sobrement, à "Je me levai". Bravo.

peuimporte a dit…

C'est le genre de texte boursouflé qui hurle au monde la douleur qu'on a de ne pas savoir écrire, et d'avoir une toute petite bite

Georges de La Fuly a dit…

Mais où est passée Jane ?

Beuche a dit…

On se le demande...

Georges de La Fuly a dit…

Un conseil, Beuche, faites comme moi : vous affichez votre bite sur votre blog, et comme ça la question ne se pose plus.

Beuche a dit…

Ce serait trop satisfaire à ces dames...

a dit…

Que viennent foutre les bites ici ?

Jane a dit…

Mais où est passé Georges ?

Brigitte Zelleweger a dit…

Beuche, le Saigneur du vivre-ensemble.

Beuche a dit…

Que viennent foutre les bites, où est passée Jane, où est passé Georges, ça en fait des questions dans un train ensoleillé !
Madame Zelleweger, je prends votre compliment avec beaucoup d'enthousiasme.

Beuche a dit…

Ah, Jane-Nelly-Brigitte et j'en passe, si seulement vous pouviez vous contenter d'un seul pseudo !...

Brigitte a dit…

S'il en va des pseudos comme de la graphie, il y en a encore pour quelques décennies de mutations.

Brigitte a dit…

Attention, âme sensible s'abstenir : Pêché tout spécialement pour vous, Beuche.
C'est une réponse à la reproduction placée en tête de votre billet. L'endroit où je l'ai prise n'a rien d'un hasard : on trouve sur ce blog pléthore d'images horrifiques - c'est une des raisons qui m'en éloignent.
Bonne journée

Beuche a dit…

J'aime bien, ces seins ensanglantés par le cochon éviscéré attirent l'oeil, c'est assez esthétique et harmonieux, ces courbes, ces lignes. Merci !

Et qu'avez-vous donc contre le Stalker ?

Brigitte a dit…

Pas vraiment contre, mais plutôt rebutée par son acharnement à écraser certains auteurs, et la joie qu'il met à insister ; la viandaille lugubre qui lui sert souvent d'illustration me dégoûe un peu aussi.
Mais je dois lui reconnaître une certaine intégrité et une verve plaisante à lire, quand il ne verse pas dans la mépris. Une immense culture livresque aussi - cela m'impressionne.