jeudi 11 mars 2010

Faim


Beuche rêve d'un cochon de Bigorre. Mâle ou femelle, de gauche ou de droite, peu lui importe, il n'est pas regardant.

Une côte. Ouh là là oui, une côte, prise dans l'échine. Avez-vous déjà vu une côte de Bigorre ? C'est magnifique. La nature porcine a mis tout son génie pour sculpter et peindre une chair aussi belle. Mosaïques de gras net sur fond caramel rosé. Rien ne déborde, tout est à sa place. Pas une touche en trop, rien de tape-à-l'oeil, zéro carence.
Les coups de machette (j'aime à croire qu'il s'agit d'une machette) du boucher pour couper des tranches apportent au chef-d'oeuvre pictural la note musicale qui ne nous quittera plus. Seul le grésillement de la graisse qui fond dans la poële nous ramènera sur Terre : promesse concrète de l'orgasme papillesque.
Dès lors, nos yeux ne peuvent se défaire de la chair qui dore, saisie en même temps que confite par ses sucs.
Car le cochon de Bigorre, mes chers lecteurs, se suffit à lui-même. Il n'appelle rien d'autre que nous, il s'offre entièrement à notre désir. Intégrité du cochon.
Nous sommes alors submergés par son odeur, forte et subtile à la fois, et qui nous prouve, si besoin était, qu'il ne nous décevra pas.
La côte est prête. Aussi belle cuite que crue. On la contemple. On sait que cette joie-là ne durera pas. Lucidité du Bigorre. Il nous rappelle, comme toutes nos jouissances, que la mort est au bout de tout.
Alors on le coupe. Sans pitié. T'es là pour être bouffé, ô être périssable. Il ne nous en veut pas. Non. Il nous pardonne par la tendreté exquise qu'il nous offre, et le goût. Le goût, Mon Dieu, incomparable, indescriptible, le goût, ce qu'il nous restera après sa Chute, le produit de la connaissance, le délice de l'innocence à jamais perdue, le délice de la menace de la pourriture. Car tu aurais pourri, brave cochon, si je ne t'avais pas dévoré.
Et ce plaisir, nous voudrons le retrouver, encore et encore, le premier répétant le dernier, ronde macabre que nos sens blasés voudront éternellement raviver, et qui se vautreront dans la débauche des saucissons, jambons, saucisses, boudins et autres palettes.
De Bigorre, bien entendu !

Et puis nous dirons stop. Car lorsqu'on goûte au Bigorre, on se rend vite compte qu'un jour il faudra trancher, si l'on me permet cette expression sans jeu de mots.
Car, avec le Bigorre, c'est lui ou nous.

2 commentaires:

Marcoroz a dit…

Je ne suis pas sûr que le porc voie la chose ainsi.

Même remarque pour la vache d'un autre billet, excellent et poétique par ailleurs.

Appas a dit…

Bon texte. La rouverture commence bien.