samedi 17 avril 2010

« Assurée de perdre »...

Toujours, depuis un siècle ou deux, les artistes ont été en opposition avec le monde comme il va. Mais, pour tourner les choses très grossièrement (et à titre d'hypothèse, qu'il faudrait immédiatement dégrossir), l'opposition "de gauche" crée du lien tandis que l'opposition "de droite" ne crée que de la solitude. Le "sens de l'Histoire", malgré quelques embardées, ayant pointé toujours dans la même direction (vers plus d'égalité, plus de fraternité, plus de "simplicité", plus de démocratie) — la gauche, en somme, ayant toujours fini par gagner (même si elle n'est plus tout à fait la gauche au moment où elle gagne) —, l'opposition "de gauche" est le pouvoir de demain : elle est grosse de pouvoir, elle en est enceinte ; l'opposition de droite, elle, en est veuve (et elle ne va pas se remarier).
Quand je vois dans le foyer doré du vieil Opéra des jeunes gens en tee-shirt publicitaire historié et en chaussures de sport à bandes latérales, ce qui me chiffonne ce n'est pas du tout que demain ils seront notaires et porteront costume et cravate comme tout le monde. Je ne crois pas du tout que c'est là ce qui va se produire. Je crois au contraire que demain, tout le monde sera habillé comme eux, et que demain est déjà là. Donc, ce qui se donne comme la sympathique opposition, allégoriquement "de gauche", à la convention, n'est rien d'autre en fait que la convention nouvelle en train de s'installer, déjà en place, même, forte de l'insolence d'un pouvoir fort à ses débuts, amis se targuant en plus des prestiges attachants d'un courageux antipouvoir. C'est précisément cela qui donne une déplaisante sensation d'obscénité.
Bien entendu, l'opposition "de gauche" et l'opposition "de droite" ont autant de légitimité l'une que l'autre, ont l'une et l'autre quelque chose à dire, sont l'une et l'autre dépositaires et porteuses d'un précieux morceau de sens et de vérité. Mais l'opposition "de gauche" (représentée dans mon exemple trivial par le T-shirt publicitaire historié) va gagner, a déjà gagné, avec ses valeurs sympathiques et justes — liberté d'esprit, haine de la convention, simplicité, horreur du paraître, mépris de la dépense inutile, etc. ; tandis que l'opposition "de droite" non seulement a perdu, mais ne peut même pas faire entendre ses propres valeurs éventuelles, tant elles sont devenues inintelligibles — politesse, modestie, conviction qu'on n'est jamais assez bon pour l'autre comme on est, acceptation d'un effort personnel pour l'harmonie et la réussite d'un moment et d'un lieu, etc.
En ce sens la seule opposition véritable serait l'opposition "de droite", parce qu'elle est assurée de perdre, et donc de rester une opposition. L'opposition "de gauche" n'est jamais que du pouvoir en attente. Tout le monde aime, même si l'on s'en plaint, le fils de la famille qui fait des frasques, des bêtises, du vacarme et "ne respecte rien" ; personne n'aime le vieil oncle qui se plaint du bruit parce qu'il est dérangé pour traduire Anaxagore. Mon côté "vieux con" et ma sympathie vont pour tout ce qui va perdre la partie me fait pencher plutôt pour le vieil oncle.

Renaud Camus, Derniers Jours, Journal 1997, pp. 62-63


Et si étaient révélés dans ces quelques lignes, et cinq ans avant sa création, le véritable devenir, la véritable raison d'être, la véritable vocation, du parti de l'In-nocence créé et présidé par Renaud Camus ?
Un parti qui ne présente aucun candidat à aucune élection, un parti qui établit un programme sans jamais appeler à un rassemblement vers quelque parti que ce soit, que peut-il être d'autre qu'une opposition assurée de perdre, condamnée perpétuellement à rester une opposition, ce qui va perdre la partie ?
En ce sens, et malgré la qualité des argumentations et la pertinence de certains communiqués, et quoi qu'on puisse penser de ses convictions, que penser de ce parti ? Une farce ? Ou une tragédie ?

8 commentaires:

Georges de La Fuly a dit…

Oui, c'est d'une tristesse !

Georges de La Fuly a dit…

Et un parti dont les dirigeants ne comprennent même pas ce que le mot de "politique" signifie, et qui ne désirent que rester entre eux.

a dit…

D'accord avec vous deux.

Georges de La Fuly a dit…

C'est même assez scandaleux, quand on y pense. On lit les éditoriaux de Renaud Camus et l'on se prend à espérer, jusqu'au jour où l'on comprend que tout ça est du flan, jusqu'au jour où l'on voit comment les édiles de ce parti se conduisent sur leur forum.

Imaginez la scène : une salon de thé dans les beaux quartiers. Sur la devanture, une belle affiche : Ici, parti politique. Suivie de quelques slogans, et de quelques beaux textes. Le chaland entre, commande un thé, commence à trouver les clients sympathiques, se prend au jeu, et puis, il est convaincu, il veut en faire partie, il se dit que ça en vaut la peine, qu'il faut sortir dans la rue, et parler aux citoyens qui passent là.

Aussitôt, quelqu'un bondit et ferme la porte à double-tour…

Unknown a dit…

De même que Labeuche ne voulait pas voir de la peinture dans certaines peintures, de même je ne comprends pas que l'on puisse appliquer la dénomination "parti politique" à l'Innocence.

Beuche a dit…

Pascal, je n'ai jamais dit que les peintures dont vous parlez n'en étaient pas, mais que si elles en étaient, et vu de qui elles étaient, Labeuche trouvait étonnant que RC pût les mettre sur Flickr.
Questionnement sans doute superfétatoire et néanmoins sincère !!!
Et je comprends que vous ne compreniez pas, pour le "parti", car moi non plus ; mais Camus a l'air très sérieux, très premier degré, lui, quand il cause de son PI. Non ? C'est très mystérieux. Comme s'il se forçait à prendre ce qu'il sait être d'avance un échec politique au sérieux. Comme s'il devait, absolument, se foutre la tronche contre un mur de béton. Comme si c'était une condition sine qua non à la pérennité de son oeuvre littéraire. Non ?

Georges, je comprends parfaitement ce que vous voulez dire.
Ce que vous décrivez est effectivement le côté tragique de la chose. De l'intérieur.
Mais de l'extérieur, dans la rue, là, on croirait à une farce : le type qui déclame sur la table du salon de thé, là, c'est formidable, ce qu'il dit, mais quand même, ce que c'est drôle de déclamer aussi fort derrière une porte fermée !!!

Georges de La Fuly a dit…

(Excusez les nombreuses fautes que je fais. J'ai changé de lunettes et je suis un peu paumé avec les nouvelles, ce qui n'arrange pas ma dyslexie naturelle.)

"Ne pas tirer les gens par la manche" s'est insidieusement transformé, dans l'esprit de nombreux épigones de Renaud Camus, en sectarisme d'opérette. Le beurre sans le lait ni la baratte en quelque sorte. La politique sans ses "inconvénients". Et ce con de Bourjon qui s'y croit…

Beuche a dit…

J'excuse toutes vos fautes, Georges, je suis le roi du vivrensemble, vous le savez bien.