dimanche 9 mai 2010

Sous les pavés, la fange


Dans tout homme il y a un prophète, et quand il s'éveille un peu plus de mal est fait dans le monde.

Lorsqu'il écrit cela en 1952 dans ses Syllogismes de l'amertume, Cioran, voyant approcher, qui sait, Mai 68, repensait-il à ce qu'il avait écrit onze ans plus tôt dans De la France ?

La France peut encore faire une révolution. Mais sans grandeur, sans originalité et sans écho : en empruntant des mythes aux autres — à l'exemple des communistes français, les seuls à avoir la fibre révolutionnaire —, en rapiéçant des discours à l'aide de vieilles phrases, de rafistolages anarchistes et de désespoirs de petite bourgeoisie qui a perdu la tête. Il faudra, avant qu'elle n'ait totalement épuisé ses possibilités de régénération sociale, que l'ivraie — la populace — triomphe, qu'elle fasse son apparition. La vie n'existe plus qu'en banlieue. Une France prolétaire est désormais la seule possible. Sauf que sa classe ouvrière n'a ni ressource d'héroïsme ni élans renversants. La carrière révolutionnaire de la France est virtuellement terminée. Elle ne peut plus se battre que pour son estomac. L'héroïsme, qui suppose un étrange mélange de sang et d'inutilité, ne peut plus être son oxygène. Jamais un peuple aux instincts en sommeil n'a proposé à l'humanité le moindre idéal, ni même des bribes de foi. Une intelligence en éveil mais sans le soutien de la vitalité, devient l'instrument artificiel des petits faits quotidiens, de la chute dans une médiocrité sans remède.

On peut même se demander si les émeutes en banlieues HLM de 2005 ne sont pas en germe, en prévision, dans ce texte incroyable.
Sauf que Cioran a surestimé la France : plus de vitalité certes, mais plus guère d'intelligence non plus dans la révolte.
On a peine, lorsque l'on est soi-même issu de la classe ouvrière, de lire ça, de prendre conscience de ça et pire, d'être bien obligé d'admettre que Cioran a raison.
La chute dans une médiocrité sans remède... La Rédemption, allons-nous, individuellement, la conquérir, un jour ?

4 commentaires:

Appas a dit…

1789, c'est les bourgeois et les nobles qui l'ont faite.

Beuche a dit…

Oui, et ?...

patrick.chartrain a dit…

Grrrrr! j'ai envie de défendre mai 68!

Beuche a dit…

Mais ne vous en privez surtout pas ! Et je ne dis pas ça par politesse !