
Beuche aime beaucoup revenir de ses préjugés et descendre de son arrogance (car ces travers il les connait, hélas, parfois).
Ainsi, durant des années, on ne sait trop pourquoi, il déclarait de son air bravache ne pas aimer, mais alors pas du tout, Émile Zola. Il n'en avait lu que cinquante pages, mais tant pis, il n'aimait pas il n'aimait pas il n'aimait pas.
Sauf que.
Sauf que "L'assommoir" trainait depuis plusieurs mois dans sa bibliothèque. Un bar de prolos, des poivrots, ça ne pouvait que l'interpeller, à Beuche.
Et en effet.
L'assommoir est un des romans les plus puissants que Beuche ait pu lire (il en a quand même lu quelques-uns, dans sa plutôt jeune vie), et Beuche est tout émoustillé à l'idée de le proclamer haut et fort, il a l'impression de découvrir la lune !
Ce qui lui plait, à Beuche, c'est ce bras d'honneur magistral que Zola fait à toute pose d'intellectuel, à toute pose d'écrivain raffiné, à toute pose de décadent, même.
La vérité, toute crue, l'état des lieux, c'est un tableau, c'est une photographie, qui débordent de leurs cadres jusqu'à aujourd'hui et irradieront sans doute demain.
C'est une lecture par ailleurs fort éprouvante, où pas un seul des personnages ne rattrape l'autre, où les curés pensent avant tout à l'argent, où les petites filles sont vicieuses et où celles qui ne le sont pas sont victimes de sévices, où les poivrots pourrissent sans vraiment crever et où les travailleurs tombent et ne se relèvent pas de leur chute dans la vinasse, où les mères sont molles et lâches, où les vieilles dames sont aigries et les vieux messieurs des animaux qui crèvent sous les escaliers.
Aucun pathos, pourtant, et c'est, très certainement, ce qui bouleverse le lecteur : il ne peut, même envers les victimes de cet Assommoir-là, y avoir totale identification, totale empathie, pleine compassion.
Cette conne de Gervaise, on a envie de lui mettre des beignes ! Tu vois pas que t'avais du courage, de l'allant, de beaux projets, de la volonté, et que tes poivrots t'ont tout bouffé, jusqu'à ton âme de dégénérée ?
Regarde-toi, avec ta fille qui devient une salope, dans ce bar miteux, au milieu de ces soûlards que tu méprisais, pleine à ton tour, en train de leur sourire, de te faire, par la destruction de toute ta personnalité, leur complice, le complice de ta propre perte ?